En 2025, j’ai invité la critique d’art Agathe Anglionin à poser un regard sur ma démarche. Ce texte, issu de nos échanges, apporte un éclairage extérieur sur mon travail autour de la lumière, du noir et de la matière.

Pour une dynamique du réel
Après une formation de graphiste et un passage aux Beaux-Arts de Saint-Étienne, Benjamin Debayle développe une pratique artistique multidisciplinaire. Il débute son parcours créatif en investissant l’espace urbain sous le pseudonyme KHAT, à travers le street art. Très vite, il élargit son champ d’expression en se tournant vers la peinture sur toile et la sculpture. Ce glissement témoigne d’une volonté d’explorer d’autres dimensions de la création, où l’interaction entre différents médiums devient nécessaire à sa démarche.
Au cœur de cette pratique, deux fondements structurent son processus de création : le temps et la lumière. Benjamin Debayle les perçoit non pas comme de simples conditions physiques, mais comme des entités vivantes à part entière. Son objectif est de leur conférer une dimension esthétique, de les rendre sensibles et visibles à travers ses peintures et ses sculptures.
Le temps, pour l’artiste, n’est pas une donnée linéaire à figer, mais une force en perpétuelle mutation. Il le considère comme un fil conducteur de l’existence, qu’il évoque dans ses œuvres par des superpositions, des effacements, des destructions, des déstructurations, comme dans sa série Palimpseste, où ses toiles conservent les vestiges des couches précédentes. Chaque œuvre apparaît comme un fragment de vie, une mémoire visible du passage du temps, conçue à la fois dans l’impulsion et la réflexion. Ce sont des surfaces vivantes, en mouvement constant, à la croisée du passé, du présent et du futur.
À cette temporalité s’ajoute la lumière. Pour Benjamin Debayle, elle est indissociable de la perception et de la vie elle-même. Il en explore la tension entre réalité physique et sensation colorée. Si les couleurs foisonnent dans ses premières fresques et témoignent d’une présence renforcée, elles sont réduites dans les séries Mimesis et L’Horizon des Événements à des tons sobres. Mais c’est en limitant volontairement sa palette au gris, et surtout au noir, dans les séries Monolithiques et Bas-reliefs, qu’il confère à la couleur une présence essentialiste. La lumière devient alors un révélateur, un vecteur de vérité. Lorsque l’artiste affirme que « la lumière, c’est la vie », il ne s’agit pas d’une simple métaphore, mais bien de l’expression de son désir profond : rendre sensible l’essence du réel.
Ce désir se traduit aussi par une volonté de faire dialoguer les contraires. L’œuvre de Benjamin Debayle s’inscrit dans un va-et-vient constant entre figuratif et abstrait, simplicité et complexité, geste instinctif et intention construite. Il cultive une tension fertile entre ces oppositions, qui nourrissent son processus créatif. Cette dynamique s’exprime également dans l’association de médiums et d’outils variés : peinture traditionnelle, techniques numériques, matériaux hybrides. En croisant pratiques ancestrales et outils contemporains, l’artiste inscrit son travail dans une continuité intemporelle, à la croisée des époques et des genres.
C’est dans cette quête de sens que Benjamin Debayle propose une tentative de reconnexion à une mémoire universelle, un besoin de dépouillement face aux artifices du monde moderne, pour retrouver une humanité essentielle, en harmonie avec la nature. Ce lien profond, ancestral et instinctif à la nature est au cœur de sa série de sculptures Les Primordiaux. Ces œuvres intègrent des matériaux bruts et organiques, ramassés en forêt, et s’inscrivent dans un cycle naturel plus vaste, auquel elles appartiennent pleinement. Elles traduisent une tension — ou un équilibre — entre la nature et la culture, entre l’instinct et la conscience. Les Primordiaux incarnent ainsi une réconciliation entre l’humain et le vivant, entre le passé et le devenir, à travers une esthétique qui célèbre à la fois la force brute et la fragilité sensible de la matière. Cette volonté était déjà perceptible dans ses premières œuvres avec KHAT, particulièrement dans la série intitulée Lazarus Project#1. Les figures qu’il créé alors en portent la trace : écorchés sensibles, constitués d’agglomérats d’objets, habités de créatures imaginaires, d’éléments végétaux, animaux ou minéraux. Ces œuvres représentent des entités hybrides, traversées par les trois règnes du vivant. À travers ces représentations, Benjamin Debayle confèrerait déjà une dimension spirituelle à la matière, qu’il ne considère pas comme inerte, mais comme un organisme en perpétuelle métamorphose.
Le recours de plus en plus affirmé à la figure du cercle, tant dans ses peintures sur papier de la série Sans-titre, que dans la série Monolithique, renforce l’idée d’une spatialité cyclique. Celle-ci se manifeste autant dans les structures de la nature que dans la géométrie euclidienne, où le cercle incarne la figure parfaite et l’abstraction par excellence, que dans les sciences occultes, où il symbolise la connexion entre le visible et l’invisible.
Il en va de même de sa conception de la beauté qui s’enracine dans une approche animiste du monde. Pour lui, elle est une essence préexistante, présente dans l’air, l’eau, la terre, le feu, la matière, ainsi que dans l’éther/esprit. Son travail ne cherche pas à l’inventer, mais à la révéler, à la faire émerger en toute simplicité, provoquant chez le regardeur un trouble liée à une sensation d’intemporalité.
S’il existe une énergie matricielle à la source de toutes choses, alors l’acte de création ne consiste plus à reproduire le réel, mais à exprimer sa dynamique. Pour Benjamin Debayle, la démarche artistique doit s’accorder au rythme fondamental du monde, entrer en résonance avec ce qui est. Ses œuvres révèlent ainsi un espace-temps hybride, où passé, présent et futur coexistent. Dans cet espace-temps, la couleur s’élève comme essence verticale, la matière noire rayonne comme lumière horizontale, et le vide devient plein. C’est ce plein qui constitue, selon lui, l’essence même du vivant.
Agathe Anglionin